Exposition à la chapelle des Pénitents bleus de Narbonne, du 12 juillet au 26 novembre 2023.
Archives municipales de Narbonne
Commissariat d'exposition: Laetitia Deloustal- ISTORIAR
Création vidéo: Vivien Raynal
L’ancienne chapelle de la confrérie des Pénitents Bleus, aménagée au milieu du XVIIIe s., se situe à l'emplacement de la chapelle des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem puis de l'ordre de Malte. L'édifice au décor baroque a été restauré par la commune de Narbonne en 1995 qui en a fait une salle d'exposition d'art contemporain. Elle accueille 3 à 4 expositions par an. La dernière exposition qui s’est tenue pendant la période de Covid sur les arts de l’Islam a duré 6 mois. Après la pandémie, le service culturel exprime le souhait d’établir un calendrier plus régulier d’expositions sur l’année.
Les archives municipales de la ville de Narbonne réalisaient jusqu’en 2014 des expositions physiques à La Poudrière. La dernière exposition s’est tenue sur le thème de Viollet-le-Duc à l’occasion d’une commémoration nationale autour de son œuvre. Depuis, l’action de valorisation des archives municipales de Narbonne se concentre sur des expositions thématiques virtuelles de grande qualité. Cependant, la qualité du fond iconographique des XIXe et XXe siècles mérite d’être présentée au public de manière physique. Ce sont des documents qui suscitent un grand intérêt de la part du public, car ils évoquent des souvenirs de famille, des histoires de quartiers, des évolutions de l’urbanisme et de l’architecture. Les archives municipales conservent 1500 documents iconographiques relatifs à la ville de Narbonne du XIXe siècle jusqu’aux années 1970. Elles possèdent également des diapositives, des négatifs et 71 plaques de verre renfermant toutes des vues inédites de la ville. Ce fond impressionnant motive l’envie de les montrer au public dans le cadre d’un projet plus large en association avec une commissaire d’exposition et un(e)/des artiste (s) contemporain (s).
L’objectif est de créer une exposition physique à partir des documents iconographiques identifiés dans le fond d’archives municipales, de créer une sélection avec la direction des archives, le service culturel de la ville de Narbonne, et la commissaire d’exposition. La partie scientifique revient aux archives municipales, avec la rédaction des contenus et l’orientation patrimoniale. La commissaire d’exposition se charge de la mise en place de la collaboration avec l'artiste visuel Vivien Raynal pour revisiter ces fonds iconographiques vers une orientation art contemporain. À la croisée de ces deux univers que sont le patrimoine et l’art contemporain, le visiteur entrera pour une raison, ressortira avec deux visions, et l’envie de redécouvrir les murs de la ville.
Cette exposition, mêlant patrimoine local et art contemporain, permet au public d’envisager deux entrées vers la découverte du patrimoine local, mais aussi de l’art contemporain. Les amoureux des vieilles pierres sont initiés à une vision contemporaine du patrimoine, tout en profitant de documents iconographiques inédits. De même que les amateurs d’art découvrent une création in situ, inédite, autour du patrimoine narbonnais, les invitant ainsi à visiter la ville. Les enfants bénéficient eux aussi de ce croisement de l’art et du patrimoine. Ils sont initiés à l’art contemporain, tout en étant sensibilisés à la notion de protection du patrimoine et du bien commun. Les ateliers conçus spécifiquement pour eux les inciteront à revenir faire la visite le weekend, accompagnés de leurs parents.
Cette exposition est pensée comme un point de jonction entre différents publics. Les différentes animations envisagées permettent de varier les spectateurs et d’attirer des visiteurs dans ce lieu remarquable qu’est la chapelle des Pénitents Bleus de Narbonne. Une exposition qui traduira toute la richesse du patrimoine architectural de la ville, exaltée par la subtilité et la poésie de l’art contemporain.
Avec plus de 12 000 visiteurs, cette exposition a su trouver son public.
Travailler dans les archives, c’est confronter son propre rapport au temps, à l’histoire, à la mémoire. C’est pénétrer dans l’intimité de ces gens d’autrefois, pas tout à fait connus, pourtant si familiers. Il y a quelque chose de troublant dans ces visages, ces tenues, ces vues de la ville ; une sorte de nostalgie d’un passé méconnu, dans ce théâtre que sont les murs des quartiers, un espace commun qui traverse le temps, dont nous héritons dans notre contemporanéité.
La création vidéo de Vivien Raynal efface les frontières entre les temporalités. Dans l’exposition Entre deux villes, il propose un glissement des seuils du temps et de l’espace, pour une invitation à la rencontre des gens qui habitent les photos anciennes. Grace à des moyens techniques contemporains, il redonne vie aux fantômes du passé en injectant des capsules de présent dans des images d’un autre temps. Car il est bien question de temps, ici. Celui que l’on entend défiler au rythme du balancier d’une horloge. Un temps figé, ancré sur une carte postale qui relate des bribes de vie, parfois anecdotiques, d’autres fois plus poétiques. Sous le bruit du crissement de la plume sur le papier, les textes sont incarnés, relatés par des voix familières. L’émotion d’un mot rédigé il y a plus d’un siècle prend vie ici avec une puissance nouvelle. Dans un profond respect de ces personnages, de leurs âmes et de leurs mots, l’artiste créée des passerelles entre le passé et le présent, tout en sublimant chaque personnage dans sa dignité. Un clignement des yeux, un hochement de tête ou un sourire esquissé donnent à ces personnages une puissance de vie, une rare présence flottant sur les voiles hissées dans la chapelle. Le vent dans les feuilles ou l’eau qui coule sont les mêmes sons qui vibraient dans la ville à la fin du XIXème siècle. Ainsi les pistes sont brouillées. Le visiteur se voit emporté dans un temps nouveau, entre le passé et le présent, comme une invitation à considérer le patrimoine comme un héritage à transmettre à son tour aux générations futures.
Laetitia Deloustal
Juin 2023
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ANEMOIA
En regardant de vieilles photos, il est difficile de ne pas ressentir une sorte d'envie de voyager, une pointe de nostalgie pour des moments que l'on n'a jamais vécus. Le désir de patauger dans la brume sépia aux contours flous qui flotte dans l'air entre les gens qui lorgnent stoïquement vers cet avenir poussiéreux et menaçant, dont les chaussures cabossées sont des ancres rattachées au fantasme que rien ne risque d'arriver autrement que de la façon dont tout s'est déjà déroulé. S'asseoir au bord de la route et regarder passer les locaux qui ont vécu et sont morts avant que l'un de nous n'arrive ici, qui dorment dans certaines des mêmes maisons que nous, qui regardent la même lune, qui respirent le même air, sentent le même sang dans leurs veines et vivre dans un monde complètement différent. C'est un monde encore couvert de la poussière venue des frontières. Un monde d'adultes, dont la vie est martelée à la main. Un monde de porches d'entrée, de feux à allumer le soir, de conversations par-dessus une clôture. On verrait alors qu'ils continuent leur vie, qui semble si importante. Et même si leur histoire a déjà été racontée, même si rien de tout cela ne risque de se passer autrement que comme cela s'est passé, ils continuent quand même.
Le passé est un pays étranger, et nous ne sommes que des touristes. On ne peut pas s'attendre à comprendre les locaux, ou pourquoi ils font ce qu'ils font. Nous ne pouvons que leur demander de rester immobiles, afin que nous puissions prendre une photo à emporter chez nous. Alors on peut s'asseoir quelques minutes dans un monde en noir et blanc, avec des frontières nettes qui nous protègent de la course folle du temps, comme une mare hors de portée des vagues, qui nous permet de nous attarder dans l'instant si clair et immobile que l'on peut voir notre propre reflet.
John Koenig, The Dictionary of Obscure Sorrows
(Le dictionnaire des peines obscures),
Simon & Schuster, New York, 2021
(Traduction française Vivien Raynal)
Chaîne YouTube : Dictionnary of Obscures Sorrows
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